sabato 7 dicembre 2013

Les activités symboliques en PS : un enjeu décisif pour toute la maternelle ?

Universitaire, Mireille Brigaudiot est bien connue de l'Université d'automne du Snuipp. Elle a mené des recherches dans le thème de l'acquisition du langage et avec l'arrivée annoncée des nouveaux programmes, il lui semble essentiel de réinterroger les pratiques de maternelle mises à mal cette année par un processus d'élémentarisation. Pour cela, elle propose une refonte des activités de la maternelle selon trois axes, dont un en particulier qu'elle développe ici, autour des activités symboliques.

Vygotski et la zone proximale de développement
Partant de ce qu'elle a l'impression de ressentir lorsqu'elle va dans les maternelles, Mireille Brigaudiot essaie de donner des réponses aux enseignants dans la « tempête » : tempête de vent qui souffle en apportant à la maternelle des listes de mots à apprendre, des étiquettes à découper, coller, reconstruire, décoller, de la phonétique à ne plus savoir qu'en faire, pratiques qui amènent les enfants à ne plus réfléchir par la pensée... Et tempête de vent inverse qui développe un regain d'intérêt pour le montessorisme et la renaissance du discours de l'enfant libre, qui découvre seul en jouant seul à des exercices sensori-moteurs autonomes.
A tous ces courants, Mireille Brigaudiot préfère la voie vygotskienne, qui mêle à la fois une nécessité de développement harmonieux des enfants de deux à six ans avec des apprentissages scolaires incontournables. De là, elle se pose la question de savoir si les jeux spontanés des enfants de deux ans jouent un rôle dans l'appropriation progressive de l'écrit qu'ils vont faire entre cinq et six ans. Elle essaie dès lors de démontrer la relation de continuité qui existe entre l'activité de jeux chez le très jeune enfant et son utilisation du langage écrit plus tar, dynamique perpétuellement jalonnée de ce que l'enfant sait et qu'il reconfigure chaque fois ; c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle conseille de toujours travailler dans la zone proximale de développement : être un professionnel de l'enseignement, c'est justement être capable de faire travailler un enfant dans la zone à peine plus dure, à peine plus au-dessus que ce qu'ils savent déjà.

Des compétences langagières exceptionnelles dont l'école devrait s'emparer
L'exposé de Mireille Brigaudiot est passionnant. Elle montre toutes les étapes de la construction du langage écrit, dès les premiers jeux symboliques à l'âge de deux ans, en s'aidant des jalons d'observation de Vigostky, chez l'enfant de deux à six ans, et le cheminement qui le fait passer à la décontextualisation et à l'abstraction. Dans ces jeux, force est de constater que tous les enfants parlent. Vient alors le passage à l'écriture, le dessin étant la zone proximale de développement, aidé par la parole de l'adulte qui va nommer. En résumé, pour un enfant de deux à trois ans, les jeux permettent la création d'un monde de « semi-fiction » et dans les dessins, on passe des gestes aux significations car les enfants laissent des « traces-papier » qui « disent » quelque chose à un adulte. Plus tard, entre trois et quatre ans, dans les jeux de rôle, avec ou sans accessoire, voire avec un accessoire détourné de sa fonction première, les performances langagières des enfants sont complètement au-delà de leurs performances langagières dans leur vie courante : sur ces jeux de rôle qui interviennent plus tard, les états internes et les objets et personnages sont symbolisés, les enfants sont donc amenés spontanément à construire des discours et des constructions grammaticales de qualité. Après cinq ans, les performances langagières sont encore plus grandes car les enfants rentrent véritablement et définitivement dans la culture d'adulte (par exemple, ils écrivent des lettres en voulant reproduire l'écriture de leurs parents). Dans leurs jeux, les enfants progressent encore cognitivement et langagièrement. Il est évident que la littérature de jeunesse est décisive dans tout cela mais elle ne fait pas tout ! Quant à l'école, elle doit renforcer ce qui est fait à la maison voire pallier les manques de la maison. Tout cela, et surtout tous ces jeux symboliques sont en effet absolument décisifs pour l'apprentissage de la lecture, il n'y a pas que le code.

Au final, Mireille Brigaudiot s'insurge de trouver encore des classes qui fonctionnent sans coins jeux ou avec des coins jeux inaccessibles et vides de tout matériel. Elle affirme et insiste sur l'idée que les jeux spontanés des enfants de deux ans jouent un rôle dans l'appropriation de la lecture car ces jeux spontanés des petits jouent un rôle essentiel pour la symbolique et toutes les activités langagières de très haut niveau ( ce qui fait par exemple l'essence même du métier de l'écrivain de fiction). Les activités intellectuelles durant ces jeux sont analogues à celles que les enfants feront lorsqu'ils liront sans autre aide que leur tête qui fabrique des images mentales. Ainsi, Mireille croit qu'il n'est pas impossible qu'une sorte de symbolique attitude, une habitude intellectuelle qui permette aux enfants très tôt « de prendre des vessies pour les lanternes et donc de dessiner des lanternes par des vessies » devienne une grand habitude, qui va faciliter à certains la découverte du signe écrit plus tard. L'école doit encourager cela et notamment, les nouveaux programmes devraient permettre de tourner le dos aux activités de discrimination visuelle de bas étage.

Alexandra Mazzilli

Stanislas Morel : Comment la médicalisation de la difficulté scolaire détruit le métier enseignant

Quelle est la place de l'enseignant quand les difficultés scolaires sont traitées par d'autres spécialistes ? C'est la question posée par Stanislas Morel lors de l'Université d'automne du Snuipp. Pour lui l'individualisation de l'enseignement nourrit une médicalisation de la difficulté scolaire abusive et nuisible au métier enseignant. Elle lui vole sa légitimité sur son propre métier.

Comment agit l'individualisation de la difficulté scolaire ?
Les recherches en sciences sociales montrent que l'échec scolaire est un phénomène qui touche massivement les classes populaires. On ne peut uniquement l'interpréter comme la somme de défaillances individuelles. Depuis plus d'un demi-siècle, ces recherches ont administré la preuve des dangers véhiculés par l'idéologie des dons, du mérite ou du hasard. Or, l'individualisation et la différenciation, deux des principaux leitmotivs des politiques éducatives actuelles, ont abouti, sans que cela soit nécessairement le but recherché, à une médicalisation accrue des difficultés des élèves. La multiplication des modes de ciblage des populations concernées par l'échec scolaire et le recours de plus en plus fréquent à la catégorie des EBEP (élèves à besoins éducatifs particuliers), qui met sur le même plan l'élève socialement défavorisé et l'enfant dyslexique, a tendu à neutraliser les oppositions entre facteurs sociaux et facteurs médico-psychologiques. Le recentrage sur les savoirs fondamentaux et sur l'école primaire a aussi contribué à intensifier le recours aux spécialistes du soin (à commencer par les orthophonistes) qui sont d'autant plus sollicités que l'échec scolaire est précoce et concerne des apprentissages fondamentaux censés être à la portée de tous. Ce type d'interprétations médico-psychologiques de l'échec scolaire précoce, qui impute les difficultés de l'enfant à un déficit individuel, n'incite pas à s'interroger sur la construction des difficultés d'apprentissage au sein même des classes. Or, de nombreux travaux sociologiques, comme ceux de Rochex ou Lahire, montrent que les inégalités d'apprentissage se construisent aussi au sein des dispositifs d'enseignement.
On tend actuellement à nier les apports de la sociologie, au profit d'autres disciplines qui prennent pour objet les processus d'apprentissage (comme la psychologie cognitive), mais qui ne prennent que trop rarement en compte les propriétés sociales des élèves qu'elles étudient et dont les enseignants savent bien à quel point elles pèsent sur les apprentissages. Pourtant, les travaux sociologiques récents, loin de se contenter de souligner des déterminismes, ouvrent de nombreuses perspectives pédagogiques pour améliorer l'efficacité des enseignements.
Ce glissement vers une médicalisation de l'échec des élèves traduit-il un déclin de la profession des enseignants ?
On peut en effet se poser la question. Et cela d'autant plus que les acteurs du médico-psychologique qui rééduquent les élèves atteints de « troubles spécifiques des apprentissages », comme les orthophonistes, proposent des rééducations qui s'apparentent, sans que cela se sache, à un « traitement pédagogique ». Par ailleurs, les chercheurs en neuro-sciences cognitives, de moins en moins en lien avec l'école, sont par exemple devenus les détenteurs les plus légitimes en matière d'apprentissage de la lecture. Les enseignants, dont ils pensent qu'ils ne sont pas en mesure d'évaluer l'efficacité de leurs pratiques pédagogiques, sont un peu dépossédés. Cela est surtout vrai pour les professeurs des écoles qui se voient de plus en plus dicter les « bonnes » pratiques pédagogiques de l'extérieur. Cela est moins vrai pour les enseignants du secondaire. Dans un contexte de spécialisation accrue, la polyvalence des professeurs des écoles les expose à se voir imposer le point de vue de « spécialistes » qui sont de moins en moins issus de leur propre corps professionnel.

On peut penser que ces préconisations extérieures n'encouragent pas la production d'un savoir réflexif par les enseignants eux-mêmes ou la mise en oeuvre d'expérimentations dont les enseignants seraient à même d'évaluer l'efficacité. Dans la mesure où la valeur sociale d'une profession est étroitement liée à sa capacité à maîtriser la production du savoir expert sur lequel elle fonde ses pratiques, il est normal que les enseignants s'interrogent sur les effets à plus ou moins long terme du transfert d'une partie de la légitimité pédagogique à d'autres groupes professionnels.

Propos recueillis par Isabelle Lardon

Bernard Lahire dans « Culture écrite et inégalités scolaires : sociologie de l'échec scolaire à l'école primaire" (2000).
Voir la présentation du livre de Rochex dans le Café
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/10/05102012Article634850196182889379.aspx
Voir le livre « La construction des inégalités scolaires »
http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2758

Les manuels syllabiques meilleurs que les mixtes ?


Peut-on montrer l'efficacité des manuels d'apprentissage de la lecture ? Celle-ci peut-elle être assez forte pour contrebalancer le poids des pesanteurs sociologiques ? Peut-on alors définir la bonne méthode d'apprentissage ? C'est ce que tente Jérôme Deauvieau dans une étude publiée par l'université de Saint Quentin en Yvelines.

La bataille pour les méthodes de lecture a fait les délices d'une partie de l'opinion française au début du siècle sous Robien. Jréome Deauvieau apporte une méthodologie nouvelle et une approche nouvelle de la sociologie à cette question pédagogique.

Il s'appuie sur une enquête qui a concerné 23 classes « eclair » franciliennes pour lesquelles il a noté les résultats à des tests pour 4 méthodes de lecture. Il a aussi observé la façon dont les enseignants utilisaient les manuels.

Au terme de ces comparaisons, Jerome Deauvieau peut dire : "Ce sont les classes dans lesquelles l'apprentissage est résolument centré sur le déchiffrage, considéré comme la clé de l'accès au sens, et organise son étude de façon progressive et systématique, l'élève pouvant déchiffrer de façon autonome tout ce qu'on lui propose à lire, sans recours à la lecture devinette, qui obtiennent des résultats dont la supériorité est statistiquement bien établie. La fluidité du déchiffrage s'avère difficilement séparable, dans ces résultats, de l'appréhension du sens... L'observation des effets-classes met en relief, du même coup, un aspect complémentaire des données collectées. L'analyse des variations du rendement pédagogique des manuels ne renvoie pas à une opposition bloc à bloc entre méthode mixte et méthode syllabique. Tous les manuels de la mixte n'ont pas le même rendement, et il en va de même des manuels de la syllabique... Il est frappant de constater que le manuel qui se révèle le plus efficient avec les élèves des milieux les plus défavorisés soit aussi le plus exigeant non seulement dans l'apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par l'ambition lexicale et littéraire des textes qu'il propose à la lecture des élèves".

J Deauvieau va plus loin. "Notre recherche contredit à cet égard, sous un double aspect, les orientations du « Plan de rénovation de l'enseignement du français à l'école élémentaire » (1971) qui a inspiré les instructions officielles de 1972. Les auteurs de ce plan plaçaient leurs espoirs de démocratisation de l'école dans une approche de la culture écrite qui, d'une part, donnerait la primauté à la compréhension sur le décodage, et éviterait d'autre part « les savoirs abstraits et la 'performance' littéraire », inaccessibles aux publics populaires du fait de l'insuffisance de leurs ressources culturelles et cognitives. Or on voit ici, quarante après, d'abord que déchiffrage et compréhension sont indissociables, l'accès au sens exigeant une grande habileté dans le déchiffrage ; et ensuite que la meilleure progression des publics populaires suppose une grande exigence à leur égard, tant en ce qui concerne la rigueur dans la qualité du déchiffrage que pour ce qui est de la richesse lexicale et littéraire des contenus". Tout un appareil statistique appuie ces affirmations.

Tout est-il dit et la syllabique a-t-elle définitivement triomphé ? On pourrait arguer de la faiblesse relative de l'échantillon. Mais la méthodologie n'est pas sans faille et parfois on trouve des libertés curieuses. Ainsi dans les appréciations portées sur les usages des enseignants des classes "déviantes" qui se trouvent écartées vite fait ou les liens entre manuel et pratiques. Enfin l'appareil statistique tel qu'il est ne permet pas vraiment une mesure infaillible de l'effet maitre et le niveau des progressions.


Démocratiser l'enseignement de la lecture-écriture : Quel diagnostic pédagogique ? Quelles pratiques alternatives ?


Comment expliquer l'échec de 15 à 20% des enfants à acquérir les compétences de base en français et maths ? André Ouzoulias propose une réflexion en 4 parties.

L'école primaire échoue à amener 15 à 20 % des élèves au niveau de compétences, de connaissances et de culture visé par notre pays à l'entrée en 6e. On en connaît les graves conséquences humaines, psychologiques, sociales, économiques, politiques, institutionnelles... À lui seul, le constat de ces échecs massifs, qui touche électivement les élèves des milieux populaires, légitime pleinement l'idée de « refonder » notre école. Une telle ambition n'a rien d'utopique : un certain nombre d'expériences dans des écoles situées en quartiers populaires montrent qu'il n'y a aucune fatalité dans l'échec actuel de l'école de la République.

De la graphophonologie à la charnière GS-CP
Dans un premier texte, André Ouzoulias a plaidé pour un authentique enseignement de la langue orale en maternelle. On le sait, l'enjeu est important : « En fin de maternelle, s'exprimer avec à propos et clarté, c'est un objectif en soi, mais c'est aussi la moitié du chemin vers la lecture. » Dans ce deuxième texte, le psychopédagogue aborde une autre question importante pour l'apprentissage de la lecture : l'enseignement de la graphophonologie entre GS et CP. Il critique ici la progression en deux phases recommandée par de nombreux psychologues cognitivistes : travail de discrimination sensorielle sur des stimuli purement auditifs d'abord pour extraire les phonèmes, introduction ensuite des lettres afin de relier ces phonèmes à leur écriture (apprentissage du principe alphabétique). Il montre en quoi cette progression engendre difficultés et échecs chez les enfants les moins familiers de la langue écrite et propose une alternative.

Troisième domaine : faire écrire les enfants, une urgence pédagogique et sociale
Dans un premier texte, André Ouzoulias a plaidé pour un authentique enseignement de la langue orale en maternelle. Dans le suivant, il a abordé l'enseignement de la graphophonologie entre GS et CP. Critiquant la progression recommandée par de nombreux psychologues cognitivistes et par l'institution, qui négligent la difficulté d'extraire les phonèmes pour les enfants les moins avancés dans la connaissance de l'écrit, il propose de commencer par faire comprendre l'idée de graphophonologie au niveau de la syllabe. Dans ce troisième texte, André Ouzoulias insiste sur la nécessité de faire écrire les enfants dès la GS et tout au long de la scolarité élémentaire. « Pour les enfants sans grande expérience de l'écrit, c'est ainsi qu'ils peuvent le mieux s'approprier la langue écrite, activement et de manière accélérée » disait-il à la fin du deuxième texte. Il donne ici sa réponse à la question décisive que se posent les enseignants du primaire : écrire beaucoup, oui, mais comment ?

Quatrième domaine : l'acquisition de l'orthographe, un enjeu crucial
Dans ses trois premiers textes, André Ouzoulias a successivement abordé l'apprentissage de la langue orale en maternelle, l'enseignement de la graphophonologie à la charnière GS-CP et la production d'écrits. Il plaide pour consacrer à l'écriture une pédagogie active, appuyée sur la production de textes courts, dans des situations qui rendent les enfants autonomes et créatifs. La question qui se pose en toute logique maintenant porte sur l'articulation entre ces ateliers d'écriture et les exigences orthographiques. Si l'on vise l'abondance des productions des enfants tout au long de la scolarité, peut-on simultanément espérer qu'elles soient orthographiquement correctes ? N'y a-t-il pas un risque de « surcharge cognitive » ? Pour André Ouzoulias, les connaissances orthographiques sont un enjeu crucial de la démocratisation. Il souligne l'importance de ces connaissances dans le développement de la lecture experte et il précise de quelle manière elles favorisent l'acquisition du vocabulaire en lecture. Il préconise d'organiser les tâches et l'environnement des élèves de sorte qu'ils puissent, dès le début, écrire beaucoup, sans trop d'erreurs et sans ressentir la « surcharge cognitive » que l'on pourrait redouter.